[J’ai peu de photos de mon voyage en Ecosse car ce fut un court séjour, nous avons eu un temps… écossais et puis surtout je crois qu’il y a des endroits qui émerveillent, qui imposent un respect craintif qu’on ne peut faire autrement que de les contempler, immobiles et les prendre dans toute son âme. J’adore prendre des photos, et on ne s’en doute pas mais il est des endroits que je ne prends en photo, que je ne partage pas, que j’essaie de garder imprimés, autrement, dans mes souvenirs, le risque c’est la perte mais c’est ce qui rend ces moments si précieux. Certaines de ces photos ont été prises sur la route avant Glen Coe, certaines à Rannoch Moor, toutes avec un temps peu propice à la photo...]
Je vais vous parler d’un endroit dramatique. Dramatique dans son passé, son histoire tristement sanglante*. Dramatique dans son physique pour ses paysages exceptionnels, dramatique dans son âme car Glen Coe a fait battre mon cœur d’une paix que je n’avais jamais connue.
Nous sommes sortis de Inveraray, après avoir visité sa morne prison, puis nous nous sommes dirigés vers Glen Coe. J’étais agitée dans mon siège : Glen Coe, l’endroit pour lequel ce voyage avait lieu. La route qui mène de Inveraray à l’A82 est une petite route escarpée longeant des basses collines aux flancs brun-rouge foncé que seules les bruyères donnent en automne et en hiver. Cette couleur je ne la connaissais pas, je l’avais lue dans des récits mais mes yeux l’apprivoisaient pour la première fois. Il y avait un bruit d’eau et une odeur d’eau aussi. C’est la première fois que j’ai vu tant d’eau descendre des flancs des collines, épaisse et claire, pour aller se répandre dans les lochs comme autant de veines pâles allant au cœur, comme des mèches de cheveux blancs étendues sur les hauteurs.
Nous nous sommes donc dirigés vers Rannoch Moor, une lande couleur brouillard ce jour de pluie. Un gris de plume à perte de vue et des sommets enneigés au loin séparés de nous par un terrain marécageux et brun clair. Rannoch Moor si mystérieux, étrange. Un endroit où les fantômes dans des récits d’un autre temps devaient errer sans but, pris au piège entre ce monde et l’autre, incapables de traverser le voile. Quelle vue, et pourtant si peu à côté de Glen Coe. Et quand la voiture est entrée dans la vallée de Coe, je fus enlacée par cet endroit. Beau. Sauvage. Qu’y a-t-il de plus fort que d’être accueillie par la Terre à bras ouverts ? La Terre accueille humblement, généreusement, avec une petite tape sur le dos, l’air de dire : arrête toi un instant. Viens. Nous avons arrêté la voiture au niveau des Trois Sœurs, la pluie battait fort contre le pare-brise. A grosses gouttes. Nous sommes sortis, et les gouttes semblaient encore plus grosses sur mon manteau et elles rejoignaient les flaques, en ploc ploc ploc ploc pour les rendre plus grosses encore.
C’est là que j’ai regardé en haut, en haut, en haut. Des montagnes et du brouillard. J’ai regardé avec insistance telle que ma nuque est devenue raide. Le brouillard qui couvrait les pentes est descendu doucement jusqu’à nous et je pouvais le humer.
J’ai vu vers l’est un éclaircissement, quelque chose qui brillait. Un loch ! Le Loch Leven battu par la pluie mais le soleil pointait quelques rayons à cet endroit et l’éclairait un peu au loin.
Nous étions logés dans un cottage au milieu des arbres, qu’une minuscule route relie à l’A82. Lors d’une balade avant le crépuscule, sur les chemins boueux qui mènent à Signal Rock* mon frère m’a montré quelque chose sur la gauche : il y avait là 5 cerfs, aux corps couleur coquille de noix et ornés d’une couronne, comme celle de laurier, vainqueurs, car c’est toujours la nature qui gagne. Ils ont rivé leur regard vers nous puis sont partis, le derrière blanc, en trottinant. Sur le tertre du soleil (Tom a’ Ghrianain ), nous avons pu considérer ces montagnes, solennelles. Aonach Dubh, et ses rochers escarpés faits de pierre volcanique. Meall Mor et sa forme arrondie. An t-Sron, le nez. Et Clachaig Gully, la sombre ravine. En rentrant, j’ai contemplé la pluie, passant à travers les branches des pins, puis quand il a fait nuit je l’ai écoutée. Ploc ploc, ploc. J’entendais les chouettes appeler Coe, Coe, Coe et les montagnes apaisaient mon cœur, je ne pouvais les voir mais je les sentais lourdes, et grandes autour de moi. J’ai pensé à tout ce dont elles avaient été témoin, ces centaines d’années, j’ai pensé à toutes ces morts cruelles mais j’ai surtout pensé à toute cette vie, florissant, sans cesse.
Quand nous nous sommes levés bien avant que le soleil ne le fasse, durant les heures les plus désertes, nous nous sommes dirigés dans le glen et une lumière étrange, bleuâtre s’étendait dans le glen. Il avait gelé cette nuit-là et le gel là-bas est couleur bleu phtalo. La vallée bleue avec ses brumes et ses braes*, leur givre et la neige scintillant, son souffle glacial.
Quels crépuscules et quelles aubes nous avons contemplés.
La crête à l’ouest se dressait énorme, blanche et dentelée tout au long de la vallée. Aonach Eahag. La crête sur laquelle nous n’avons pu marcher.
Le pic noir à l’ouest. J’ai levé les yeux et regardé ses flancs sombres, bleus, noirs, gris, et l’eau descendant fort. Buachaille Etive Mòr. Ce pic que nous n’avons pas pu vaincre.
En allant à Stalker Castle, comme un cadeau de la piètre météo, j’ai vu un loch si clair si limpide qu’il était le miroir du ciel et un oiseau faisait la course avec son reflet. Quand nous sommes partis, Glen Coe nous a fait ses adieux en faisant flotter dans l’air des flocons légers puis si lourds qu’ils nous aveuglaient.
Sur chaque munro que nous avons pu fouler, je me suis arrêtée et j’ai fermé les yeux, sentant la pluie battre mon cou, mes paupières et le vent caresser mes mains, ma joue. Je ne sais pas de quoi j’avais l’air ainsi, figée, glacée, le temps était si froid, sur les pics. La pluie rendait la lumière si feutrée si douce. Et j’ai pleuré. Quel cadeau d’être ici, de marcher sur ces montagnes. J’ai pleuré car je me suis souvent sentie seule mais la beauté là peinte devant moi par la nature, cette splendeur, m’a rassurée que je ne suis pas seule, que je viens de là d’où tout ce que j’aime vient, les nuages, les arbres… J’ai senti le sublime. Je le sentais partout. Dans la silhouette des arbres, un caillou, une fougère, une feuille couleur de cuivre, une brindille, un lièvre déguerpissant, le bruit du vent.
Des montagnes aux rochers noirs, un ciel venteux et gris.
Parfois l’on dit d’une chose, ou d’un autre qu’elle fait battre son cœur plus fort mais je crois que je préfère que mon cœur batte plus paisiblement. Je préfère que mon cœur batte plus doux. Si vous êtes prêts à ce que votre cœur ne batte pas plus fort mais plus doux, alors passez pas la vallée de Coe. J’espère que vous aurez la chance de voir ce glen par temps plus clair que moi, que vous pourrez contempler chaque nuage se balader de munro en munro, assombrir un rocher, puis un autre.
*Le Massacre de Glencoe (Mort Ghlinne Comhann): 13 février 1682. 5h du matin. 38 personnes ont été assassinées par des soldats de Guillaume d’Orange pour avoir prêté serment d’allégeance trop tard au roi (de quelques jours). Une quarantaine de personnes périrent de froid dans leur fuite
*Signal Rock : la légende dit que c’est de ce rocher que le signal du massacre de Glencoe fut lancé
*Brae : une colline en Ecosse
*Munros : sont des sommets supérieurs à 3000 pieds (environ 900m). Il en existe 284, baptisés Munro du nom de celui qui les a listés, Sir Munro. Gravir des munro c’est pratiquer le munro bagging.
Quelques photos de l'île de Skye parce que l'on a eu "beau":
Quelques photos de l'île de Skye parce que l'on a eu "beau":
Magnifique article Aurélie, Merci <3
ReplyDeleteMerci ma belle Azilis <3
DeleteBonjour,je découvre votre site et viens de lire votre article. Bravo pour ces lignes et ces photos qui dégagent une ambiance magique. J'aime l’Écosse et espère découvrir cette région dont les paysages et ses couleurs vont droit au cœur. Au plaisir de vous lire à nouveau.
ReplyDeleteAmbre
Merci beaucoup Ambre pour votre retour, je suis ravie que l'article vous ait plu et j'espère que l'Ecosse pourra vous enchanter bientôt!
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